Articles - Concert Tiken Jah Fakoly - Palais des Festivals Cannes - le 8 septembre 2011
1ère partie : DRUNKSOULS
Palais des Festivals
Cannes - le 8 septembre 2011
En 2002, alors que Tiken Jah Fakoly vit à Abidjan en Côte d’Ivoire, sa popularité et son engagement pour une Afrique « libre » le contraignent à l’exil à Bamako au Mali. Et là, l’Africain entame sa reconstruction : Tiken Jah Fakoly est cet Africain qui vit une expérience extrême, celle de se voir chaque jour un peu plus mis à l’écart, distancé dans la course folle de la globalisation.
Son septième album, "African Revolution", est un opus acoustique épuré, intimiste et surprenant. Il suffit de quelques mesures pour s’en persuader : "African Revolution" est un tournant radical dans la carrière de Tiken Jah Fakoly, un album qui va secouer le cocotier de trente ans de reggae africain. Mais est-ce encore du reggae ?
Tiken Jah Fakoly a toujours pris des risques. Dès Mangercratie, en 1996, il imposait la langue des trottoirs d’Abidjan, dans toute sa joyeuse arrogance, la plus roots qui ait jamais caressé nos oreilles. La plus politique aussi : balançant leurs quatre vérités à la figure des despotes, déstabilisant l’histoire officielle, Tiken rendait coup pour coup à la désinformation et s’imposait comme le porte-parole de millions de jeunes africains. Pas de doute, il s’inscrivait dans la lignée des Peter Tosh et des Bob Marley, la branche la plus noble du reggae : comme eux, il était devenu « la voix des sans voix ». Après quinze années de carrière, une Victoire de la Musique et plusieurs disques d’or, Tiken Jah Fakoly semblait n’avoir plus rien à prouver. Son dixième album aurait pu n’être qu’un satisfecit complaisant...Alors comme toujours, Tiken a pris des risques.
Inattendu, excitant, impeccablement produit, "African Revolution" est exactement ce qu’il clame : africain et révolutionnaire. (...) Africain dans le son, l’album l’est aussi - bien sûr - dans l’intention.
Désormais, c’est au continent noir tout entier que le chanteur s’adresse. « Go to school brothers... intelligent révolution is African éducation ». C’est un appel à une prise de conscience de la jeunesse africaine qui court à travers les chansons : « Personne ne viendra changer l’Afrique à notre place, il faut se lever, lever, lever, pour changer tout ça ». (Il faut se lever)... Mais la façon dont Tiken aborde le sujet de l’Afrique est devenue plus personnelle. Ce n’est pas la star qui s’exprime, c’est un homme qui doute : « Ceci n’est qu’une chanson, ça ne changera pas nos vies... » (Je dis non). C’est un homme amer qui voit ses frères se transformer en mendiants : « Je suis revenu après 5 ans d’exil, des millions de jeunes sans boulot, tous la main tendue... » (Vieux père). C’est l’homme qui a tourné le dos au mirage des « montagnes d’argent » et de la politique, et consacre ses cachets aux écoles et aux champs : « Je ne veux pas ton pouvoir, pas besoin de l’avoir, je ne veux pas de ta gloire, je veux l’espoir » (Je ne veux pas ton pouvoir).?C’est un Tiken plus intime, plus sensible que nous découvrons.
"African Revolution" s’impose comme un jalon, non seulement pour l’artiste, mais pour toute la scène reggae. Une bouffée d’air frais, exemple qui va donner du grain à moudre à toute la nouvelle génération... Mais avant tout cet album transcende les genres et projette un son nouveau, ancré dans la tradition et résolument moderne, comme cette Afrique qui ne cesse de nous charmer et de nous étonner.
Reportage Photos Guillaume Laurent web